2022 #11 Marche

– Viens, on va s’amuser, cria Raynold.

– Tu seras le seul à t’amuser, vu la gueule de tes potes.

Ils étaient une dizaine, de toutes formes : minces, musculeux, obèses. Des grands, des petits. Et, à l’exception de mon ami qui souriait, tous avaient le regard dur, froid. Pour la plupart, ce n’était pas la première fois.

Je fis un signe de tête. Ça ne m’intéressait pas. J’aurais pu sortir les excuses habituelles : ma petite sœur à garder, les devoirs à finir, mon père à aider. Mais il s’en foutaient. Ce qu’ils voulaient savoir, c’est si la haine était logée dans mes boyaux et si elle était assez forte pour vouloir regarder les hijos de puta cramer. Ce n’était pas mon cas.

– Allez, on se tire, fit un gars qui ne semblait pas être le meneur.

Je compris alors que Raynold était le chef du groupe. J’en fus retourné. Lui, mon ami, à qui je m’identifiais, mi-timide mi-courageux, avec qui je partageais des idées et des rêves, était passé à l’action, l’action la plus détestable. En quelques semaines, il m’avait échappé, mon frère, et j’avais vieilli à force de rester sur le trottoir regarder passer les manifestants, j’étais devenu peureux et cynique : philosophe.

– Je viens avec vous.

Ils me firent chercher une bouteille en verre et un chiffon. Ils avaient le reste. On s’est mis en route. La nuit tombait. Des lumières, celles de maisons, de rares réverbères, de phares de voiture attirant les insectes et nos regards. Nous étions silencieux, calmes en surface, excités, tendus. Nous marchions vers la ville, sur la ville.